Des raisons de la paix et de la guerre…

La France et l’Allemagne célèbrent, ensemble, l’armistice de 1918… De longues décennies d’esprit revanchard ont ainsi été lentement oubliées après la dernière boucherie. Une réalité qui serait aussi une victoire de l’esprit sur l’instinct…

« La France et l’Allemagne sont les deux ailes de l’Occident. Qui brise l’une empêche l’autre de voler », avait écrit Romain Rolland. Il a pourtant encore fallu longtemps pour que les deux grandes nations européennes agissent en accord avec tout ce que leur esprit naturel aurait dû leur dicter depuis longtemps. Hélas, quand deux géants poussent côte à côte, l’un a évidemment tendance à vouloir étouffer l’autre…
La macabre partie de ping-pong a ainsi duré plus de 70 ans et encore, si l’on accepte de considérer que le “problème” franco-allemand ne remonte pas à la violente épopée napoléonienne. Un postulat qui pourrait bien être discuté par de nombreux historiens…
LE VRAI MOTEUR DE LA PAIX
Alors, comment l’esprit a-t-il finalement triomphé ? Les peuples se sont-ils lassés des saignées régulières dans leurs jeunesses ? Las, ils devaient l’être depuis longtemps, mais la lassitude n’empêche pas la haine, on ne le sait que trop… Il était sans doute bien plus près de la vérité, Anatole France, en écrivant, dans “Sur la Pierre blanche”, cette phrase qui mériterait, en effet, d’être gravée dans le marbre : « La paix universelle se réalisera un jour non parce que les hommes deviendront meilleurs, mais parce qu’un nouvel ordre, une science nouvelle, de nouvelles nécessités économiques leur imposeront l’état pacifique ».
La tension Est-Ouest, l’évidence de la nécessité d’une entente générale pour mener à bien le boum économique sont donc bien plutôt le vrai “peacemaker”.
DES RAISONS DE HAINES
Un fait décevant qu’il faut pourtant bien accepter. L’homme n’a pas fait la paix en se fondant sur l’esprit, dont il ne manque pourtant pas, mais plutôt sur ses intérêts bassement matérialistes et bien compris. « J’aime la vérité. Je crois que l’humanité en a besoin ; mais elle a bien plus grand besoin encore du mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies. Sans le mensonge, elle périrait de désespoir et d’ennui », a encore écrit le même Anatole France (in “La vie en fleur”).
C’est vrai… Mieux vaut garder l’illusion… L’illusion de l’homme. Surtout en ces périodes, troublées quand même, qui pourraient bien accoucher, un jour ou l’autre, d’un autre grand drame. L’intérêt économique, qui a donné la paix, pourrait tout aussi bien fournir des raisons de haines nouvelles, de guerre peut-être.
« Face aux grands périls, le salut n’est que dans la grandeur », a dit Charles de Gaulle. Alors, oui, décidément, affirmons-le bien haut : la France et l’Allemagne ne se feront plus jamais la guerre parce qu’elles ont trop souffert de se l’avoir faite sans mesure. Et puis, Madame de Staël n’a-t-elle pas écrit (“in De l’Allemagne”) : « Il faut dans nos temps modernes, avoir l’esprit européen » ? Et oublier vite ce qu’elle a aussi écrit dans le même livre : « Il vaut encore mieux, pour maintenir quelque chose de sacré sur la terre, qu’il y ait dans le mariage une esclave que deux esprits forts »…
Jean-Michel ROCHET

Paru dans l'Extension de Genève : http://www.lextension.com/