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Le blog de Milou en Val
31 mars 2010

La mémoire, l’odeur, la légende et l’histoire…

La terreur nazie s’enfonce dans le temps. Saura-t-on en maintenir la mémoire, nous qui n’avons pu en sentir les odeurs ? Oui, mais il faut sans aucun doute accepter la légende…

Soixante-cinq ans après la fin de la seconde guerre mondiale et la libération des camps nazis, les derniers survivants entament ce qui sera, sans doute, leur ultime décennie. Dans dix ans, ils ne seront plus, pour la plupart. La mémoire vivante s’éteint peu à peu et l’on peut légitimement s’interroger maintenant sur l’avenir du souvenir de ce qui fut le plus grand drame humain de l’histoire. L’autre jour, à la télévision, Jorge Semprúm, lui-même ancien déporté et auteur d’un tout récent livre, “Une tombe au creux des nuages”, s’interrogeait sur le devenir de la mémoire des camps… Il disait : « Auschwitz, qu’est-ce que c’est ? C’est le souvenir de l’odeur du crématoire ». Et c’est bien vrai qu’on ne peut guère transmettre le souvenir d’une odeur à qui ne l’a pas sentie lui-même… « Les odeurs, comme les sons, musicaux, sont de rares sublimateurs de l’essence de la mémoire », a dit Georges du Maurier.
Comment transmettre alors cette mémoire ? Et d’abord, faut-il vouloir absolument la transmettre ? Georges Moustaki ne chantait-il pas : « Je voudrais perdre la mémoire Pour ne plus changer de trottoir Quand je croise mes souvenirs » ? Oui, sans doute, il faut transmettre ce souvenir, puisqu’on sait qu’il est indispensable de se rappeler pour ne pas recommencer.
SE SOUVENIR QUAND ON N’A PAS VÉCU…
Oui, il faut se souvenir… Mais comment se souvenir quand on n’a pas vécu ? Par le roman, évidemment… « L’imagination, c’est de la mémoire fermentée. Quand on perd la mémoire, on perd sa faculté d’imaginer », a écrit le fameux psychiatre portugais Antonio Lobo Antunes. Et le jeune Jonathan Little a fourni un exemple éclatant de réussite de nouvelle mémoire avec son roman “Les Bienveillantes”. Son histoire est totalement inventée, mais elle tient dans un cadre historique parfaitement reconstitué. Qui n’avouerait pas être plus “secoué” par ce roman que par n’importe quelle étude universitaire sur le même thème ? « La légende est à mes yeux plus vraie que l’histoire », a dit Alain, il y a déjà bien longtemps (in “ Histoire de mes pensées”).
Et le roman, l’imagination sont bien des manières de maintenir vivant le souvenir, indispensable au maintien du pardon, de la bonne harmonie. Le philosophe Jacques Derrida dit-il autre chose lorsqu’il écrit : « Le pardon requiert la mémoire absolument vive de l’ineffaçable, au-delà de tout travail de deuil, de réconciliation, de restauration, au-delà de toute écologie de la mémoire » ?
QUITTER LE PASSÉ POUR ENTRER DANS LA LÉGENDE
L’épopée, les drames de la seconde guerre mondiale vont bientôt quitter le passé récent pour entrer dans la légende et dans l’histoire. Car nous abandonnons bientôt, avec la disparition des derniers survivants, le temps du souvenir pour entrer dans celui de la vraie mémoire et de l’histoire. C’est un créneau à saisir et à ne pas laisser passer… « Quand il s’agit d’histoire ancienne, on ne peut pas faire d’histoire parce qu’on manque de références. Quand il s’agit d’histoire moderne, on ne peut pas faire d’histoire, parce qu’on regorge de références », a écrit Charles Péguy. Saisissons donc cette opportunité, entre deux contretemps, et acceptons enfin l’importance du roman historique, y compris pour cette sombre période. Ainsi, sans doute, la mémoire perdurera…
Jean-Michel ROCHET

Paru dans l'Extension de Genève : http://www.lextension.com/

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